1. Une mesure de protection judiciaire confère un statut juridique protecteur qui encadre la liberté civile d’une personne, et ne peut être ordonnée que par un juge spécialisé, le juge des tutelles, au terme d’une procédure dans laquelle la personne vulnérable est le sujet essentiel, et la recherche de son intérêt, le principe cardinal.

 

Une personne ne peut être placée sous protection judiciaire qu’en cas de nécessité, établie par un certificat médical circonstancié, et caractérisée par le juge des tutelles. 

 

2. « Juge des tutelles » : cette dénomination est en réalité réductrice, car ce juge essentiel est aussi le juge des curatelles, des sauvegardes, des non-lieux à mesure et des mainlevées. Dans le cadre de ma contribution annexée au Rapport interministériel « L’évolution de la protection juridique des personnes » (sept. 2018) de Madame Caron Déglise, j’avais proposé proposé l’appellation « juge protectionnel », à mon sens bien plus fidèle à la réalité, et bien plus positive que celle de « juge des tutelles », tant le mot « tutelles » est source d’appréhension pour nombre de personnes concernées. 

 

Toujours est-il que depuis la loi du 15 mars 2019 ayant remplacé les tribunaux d’instance par les tribunaux de proximité, le Service de la protection des majeurs est une des attributions du nouveau « Juge des contentieux de la protection » (J.C.P.) : chaque jugement rendu en matière de protection judiciaire précise désormais qu’il l’est par le « J.C.P., agissant en qualité de juge des tutelles ». Cette dénomination est cependant impropre puisqu’une instance devant le J.C.P. n’est pas un contentieux entre deux Parties (comme entre bailleur et locataire, ou créancier et débiteur), mais relève de la matière gracieuse, et de l’ordre public de protection. 

 

Il existe différentes mesures de protection judiciaire : la sauvegarde de justice, la curatelle, la tutelle. 

 

4. Sauvegarde de justice, prononcée en cours d’instance. La sauvegarde de justice est une mesure provisoire, qui peut être prononcée par ordonnance du juge des tutelles à tout moment de la procédure, si le juge estime qu’il existe une urgence particulière à protéger la personne concernée, sans attendre l’issue du procès.

 

Naturellement, le prononcé d’une sauvegarde de justice ne préjuge pas du prononcé d’une tutelle ou d’une curatelle : une sauvegarde de justice pourra déboucher sur un jugement de non-lieu à mesure de protection s’il apparaît que les inquiétudes initiales sont levées, ou que la personne est revenue à meilleure santé.

 

L’ordonnance de sauvegarde de justice désignera le plus souvent un mandataire spécial, auquel est confié un mandat spécial déterminé, de représentation : gérer les comptes bancaires courants et postaux, affecter les ressources aux charges, recevoir et traiter le courrier administratif de la personne, … Cette mission, principalement financière, peut être élargie au fur et à mesure de la procédure, et incorporer une mission de protection de la personne (rechercher un Ehpad, veiller à un suivi médical pluri-disciplinaire). 

 

Théoriquement, en dehors du champ du mandat, la personne est censée être capable juridiquement : bien évidemment, en pratique, tel est rarement le cas de sorte qu’un acte signé par une personne vulnérable, dont il est acquis qu’elle est altérée au plan psychique, pourra donner lieu au dépôt d’une plainte pénale, et faire l’objet d’une annulation judiciaire.

 

Au terme son instruction, après avoir auditionné les différentes parties, le juge des tutelles sera amené à rendre un jugement au fond, qui peut être un jugement de non-lieu à mesure de protection (s’il apparaît qu’aucune mesure de protection judiciaire n’est nécessaire), ou un jugement de protection.

 

4. Mesures de protection judiciaire, prononcées au terme de l’instance. En cas de prononcé d’un jugement de protection, la graduation des mesures de protection est la suivante : sauvegarde de justice autonome, curatelle (simple, aménagée, renforcée), tutelle.

 

A/ Sauvegarde de justice autonome. La sauvegarde de justice autonome a été introduite par la loi du 15 mars 2007. Il s’agit d’une mesure méconnue, peu usitée en pratique, en présence d’une altération psychique de très faible intensité. Ainsi, une sauvegarde de justice autonome pourra être prononcée pour permettre à la personne d’être représentée par un mandataire spécial pour un acte donné ou une série d’actes précisés dans le jugement. Pour une personne minée par une dépression (médicalement constatée), en proie à des difficultés financières, une sauvegarde de justice autonome permettra ainsi à la personne d’être représentée dans le cadre d’une procédure de surendettement, indispensable à son rétablissement mais que la personne ne saurait faire seule.

 

B/ Curatelles, mesures d’assistance. La curatelle est une mesure d’assistance, ce qui signifie que pour certains actes, la personne sera assistée de son curateur (lequel, au plan juridique, signera à ses côtés), avec des degrés divers. Il existe plusieurs formes de curatelle :

 

– La curatelle simple, limitée aux actes juridiques les plus graves, les actes de disposition (ce sont les actes qui entament ou engagent le patrimoine : l’achat ou la vente d’un bien immobilier, la souscription d’un emprunt, le rachat d’une assurance vie ou le retrait d’une somme sur un compte de placement ou d’un livret d’épargne, la signature d’un bail commercial, d’une transaction, etc. Le curatélaire (la personne protégée) et son curateur devront co-signer de tels actes.

 

En dehors de ces actes patrimoniaux importants, la personne en curatelle simple perçoit normalement ses revenus et règle ses dépenses. Elle gère seule ses comptes bancaires courants et détient normalement ses moyens de paiement.

 

Il s’agit d’une mesure de protection légère.

 

– La curatelle simple peut parfois être modulée : on parle alors de curatelle simple aménagée. Par exemple, le jugement la prononçant précise que le curateur pourra consulter en ligne les comptes bancaires (pour s’assurer de la bonne gestion) sans pouvoir intervenir sur les comptes : mais en cas d’anomalie constatée, il pourra saisir le juge dans les formes requises pour solliciter une aggravation de mesure.

 

– La curatelle renforcée est une mesure plus restrictive : comme en curatelle simple, les actes de disposition requièrent la co-signature du curateur ; en revanche, pour les actes de gestion courante (les actes d’administration), le curateur est investi du pouvoir de gestion : c’est lui qui gère les comptes courants de la personne protégée, affecte les ressources aux dépenses incompressibles de la personne protégée, et met à disposition de celle-ci le reliquat, sous la forme d’un argent de vie à la semaine, accessible par une carte de retrait plafonnée.

 

 – La curatelle renforcée peut parfois être atténuée : on parle alors de curatelle renforcée aménagée. L’aménagement signifiant que la personne protégée reçoit son argent de vie à quinzaine ou au mois (et non plus à la semaine), ou qu’elle se voit mettre à disposition une carte de paiement plafonnée (et non plus une carte de retrait plafonnée). En pratique, avec le recul des règlements en espèces, de nombreux curateurs mettent à disposition, en curatelle renforcée, une carte de paiement plafonnée à la personne protégée, ce qui simplifie évidemment le règlement de leurs courses alimentaires et achats courants (en évitant de devoir payer en espèces). L’aménagement peut aussi consister, pour la personne en curatelle, à être autorisée à régler seule une charge courante incombant normalement au curateur.

 

Quelle que soit la nature de la curatelle prononcée par le juge – simple, aménagée, renforcée –, le curateur assistera la personne protégée en justice, dans tout procès. L’assistance du curateur participe des droits de la défense, et s’étend aussi à la phase pré-contentieuse.

 

C/ Tutelles, mesures de représentation. La tutelle est une mesure de représentation : la personne protégée est ici représentée par son tuteur, son état de santé ne lui permet plus de signer un acte de façon éclairée. La tutelle concerne des personnes souffrant d’altérations psychiques sévères, dont les troubles cognitifs sont massifs.

 

Pour les actes d’administration, comme en curatelle renforcée, le tuteur gère les comptes bancaires courants, affecte les ressources aux charges, et met un argent de vie à disposition de la personne, en fonction des possibilités du budget et de la nécessité d’anticiper des postes de dépenses (vacances, remplacement d’éléments électro-ménagers, etc.). Naturellement, l’épargne est affectée aux dépenses nécessaires (auxiliaire de vie, Ehpad…).

 

Pour les actes de disposition, contrairement au régime de la curatelle, le tuteur ne co-signe pas l’acte avec le tutélaire (la personne en tutelle) : il présente une requête au Juge des tutelles et ne pourra signer (l’achat immobilier, le rachat partiel ou total d’une assurance-vie), qu’avec l’accord du juge, matérialisé par le prononcé d’une ordonnance. Ainsi, en tutelle, le tuteur signe seul un acte de disposition dans l’intérêt et pour le compte du majeur protégé, après accord du juge des tutelles.

 

La tutelle peut parfois être atténuée : on parle alors de tutelle aménagée ou allégée. Par exemple, une personne âgée peut souhaiter continuer à se servir de son chéquier (pour payer son coiffeur, remettre annuellement un chèque à sa gardienne d’immeuble, etc.). Dès lors que la personne y est apte et le demande, et parce que cela peut participer de la préservation de sa dignité, certains jugements le précisent. De même, le jugement de tutelle peut toujours préciser un ou plusieurs actes que la personne sera autorisée à accomplir seule.

 

5. Requête supplétive. En curatelle comme en tutelle, en cas d’opposition entre la personne protégée et son protecteur quant à la conclusion ou non d’un acte, il est toujours possible à l’un comme à l’autre de saisir le juge des tutelles d’une requête afin qu’il tranche et autorise ou non le majeur protégé ou le curateur à signer, seul, l’acte. 

 

6. Habilitation familiale. Le juge des tutelles peut dans certaines circonstances proposer aux membres bienveillants d’un majeur vulnérable, de prononcer une habilitation familiale assistance (qui est l’équivalent d’une curatelle simple), ou une habilitation familiale représentation (qui est l’équivalent d’une tutelle). Ces mesures de protection ne donnent lieu à aucun contrôle judiciaire : leur éclosion législative (par une ordonnance d’octobre 2015) n’est due qu’au désengagement financier de l’Etat de ses fonctions régaliennes. Ainsi, plutôt que de créer davantage de postes de juges des tutelles, de greffiers, de directeurs de greffe (pour le contrôle des comptes de gestion), il a été imaginé par le gouvernement de l’époque de créer un mécanisme par lequel un habilité (un membre de la famille : ascendant, descendant, frère/soeur, conjoint/partenaire/concubin) peut gérer le patrimoine de son propre, voire vendre un bien, sans le moindre regard judiciaire… C’est donc avec parcimonie qu’il convient d’y recourir.  Mal exercée, une habilitation familiale peut causer un grand tort à la personne vulnérable : il m’est régulièrement demandé d’agir en révocation d’une habilitation familiale.

 

7. Socle de protection commun. En curatelle, en tutelle, comme en présence d’une habilitation familiale, le logement de la personne, ainsi que le mobilier qui le garnit, font l’objet d’une protection spécifique du législateur : ces biens ne peuvent être vendus sans l’accord du juge des tutelles (la co-signature de la personne en curatelle et de son curateur ne suffisent pas). De même, la résiliation d’un bail d’habitation requiert l’accord préalable du juge des tutelles. Ainsi, la sagesse du juge des tutelles va permettre d’éviter que le majeur protégé ne fasse l’objet de pressions de tiers pour vendre son domicile, pressions qui échapperaient au curateur), ou qu’il ne décide d’une mise en vente sur une impulsion liée à son état de santé. La résidence secondaire suit le même régime.

 

Valéry MONTOURCY
Avocat au Barreau de Paris
Droit des majeurs vulnérables (sauvegardes, curatelles, tutelles)
www.montourcy-avocats.fr
2 square de l’avenue du Bois – 75116 Paris

Pour contacter le cabinet : secretariat@montourcy-avocats.fr

Tél : 01 45 72 02 52

 

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